Bérénice Bejo (French Only)

À l’âge de trois ans, Bérénice Bejo quitte, avec ses parents, l’Argentine en pleine dictature militaire pour aller vivre en France. Très tôt, son père Miguel Bejo, réalisateur argentin, la plonge dans la culture cinématographique et l’inscrit à l’école de théâtre Les Enfants Terribles. Elle effectue ses premières apparitions à l’écran dans les courts métrages Pain perdu en 1993. Elle poursuit sa carrière grâce à des petits rôles dans des films comme “La captive” de Chantal Akerman et “Passionnément” de Bruno Nuytten. Elle obtient enfin un premier rôle grâce dans “Meilleur espoir féminin” de Gérard Jugnot, où sa prestation d’apprentie-comédienne lui vaut une nomination au César du meilleur espoir féminin.  Un an après, Bejo décroche le rôle de Christiana dans la production hollywoodienne “Chevalier” de Brian Helgeland”. En 2006, elle effectue un retour en force en s’illustrant aux côtés de Jean Dujardin dans “OSS117: Le Caire, nid d’espions” de Michel Hazanavicius. Il s’agit de la première collaboration du trio qui continue en 2011 avec le film muet noir et blanc, “The Artist” réalisé par Hazanavicius. Le film connaît un grand succès critique et public et une brillante carrière à l’étranger, notamment aux États-Unis. Après ses nominations successives, comme meilleur rôle secondaire, aux Golden Globes, SAG Awards, et comme meilleure actrice aux BAFTA, elle est également nommée aux Oscars en tant que meilleure actrice dans un second rôle pour “The Artist” et reçoit le César de la meilleure actrice pour ce-dernier. En 2013, elle reçoit le Prix d’interprétation féminine au 66ème Festival de Cannes pour son rôle de mère d’une famille recomposée en perte de repères dans “Le Passé” du cinéaste iranien Asghar Farhadi. 

Rencontre avec Bérénice Bejo au festival de cinéma de Sarajevo où l’actrice est venue promouvoir son nouveau film, “The Search”. 

 

Comment est-ce que la nomination à l’Oscar et bien évidemment aux autres prix a-t-elle influencé et peut-être même changé le cours de votre carrière?

Bérénice Bejo: Les prix forcément changent le regard que les gens ont sur vous et par là, le regard des producteurs, des réalisateurs et même de vos partenaires. Aussi, ça apporte plus de choix et c’est donc très agréable d’abord pour l’égo mais ensuite au niveau de ma carrière: j’ai l’impression d’accéder à des choses auxquelles je n’accédais pas avant.

En 2012, vous interprétiez le rôle de Peppy Miller, une actrice des années 20, dans The Artist. Comment percevez-vous les actrices d’aujourd’hui et leur place dans l’industrie maintenant surtout que la dernière actrice de l’Hollywood classique, Lauren Bacall, est décédée la semaine dernière?

B.B.: Je pense que je change tout le temps d’avis. Quand on me pose cette question, j’ai l’impression que je me contredis tout le temps selon les jours où on me la pose. Il y a des jours où je dis que c’est complètement différent et puis il y a des jours où je dis “Bah non! ce n’est pas si different…” C’est-à-dire qu’à l’époque, on avait une dizaine d’actrices et chacune avait une place bien précise; on lui donnait un rôle bien précis et il y avait la liste, la A-list des actrices les plus “bankable” de l’époque. Mais, en fait, aujourd’hui c’est exactement pareil: d’abord on nous cantonne souvent à des rôles et il y a toujours la liste des dix actrices les plus “bankable”. En fait, c’est exactement la même chose avec peut-être un petit peu moins de pouvoir des studios. Les acteurs ont aussi beaucoup de pouvoir. Quand on fait la promotion d’un film, je suis toujours surprise de voir à quel point tous les acteurs font la couverture des magazines alors que la meilleure personne pour vendre un film c’est quand même celui qui l’a réfléchi, réalisé et monté. Les acteurs ont peut-être pris un peu plus de place qu’avant et c’est quand même eux qu’on voit à l’écran, c’est eux qui fascinent le public. Aussi, aujourd’hui c’est devenu une grosse industrie: il y a beaucoup d’argent qui est en jeu. À l’époque on pouvait faire des films toutes les semaines alors que maintenant, il y a plus de choses qui sont en jeu, quelque chose d’un peu plus sérieux: on se prépare et on se plonge dans un truc. C’est la sensation que j’ai eue quand j’ai lu les livres lorsque je préparais The Artist.

Et en France?

B.B.: Je pense que c’est à peu près la même chose même si je trouve qu’à Hollywood il y a beaucoup d’actrices puissantes. En France, à part Marion Cotillard qui est quand même la star française qui a un pouvoir assez particulier, on n’est pas une aussi grosse industrie. Il y a donc quelque chose d’un peu plus familial. Il y a toujours les “bankable”, les cinq noms qui reviennent, mais c’est un peu moins violent peut-être; c’est proportionnel, disons. Michel peut recevoir un scénario et pour le rôle d’un personage qui aurait dans son histoire 35 ans, on peut lui proposer Sophie Marceau ou Léa Seydoux par exemple et à un moment donné ça n’a rien à voir avec le scénario et le personage; ça a à voir avec quelles sont les filles avec lesquelles on peut avoir de l’argent. C’est partout pareil. C’est un peu idiot et il faut se battre là-dessus.

Avec Chevalier vous avez travaillé à Hollywood mais vous avez aussi travaillé en France. En tant qu’actrice, y-a-t-il une différence et où préférez-vous travailler?

B.B.: Je ne peux pas trop parler de comparaisons parce que je n’ai pas assez travaillé aux États-Unis. Dans A Knight’s Tale j’avais un tout petit rôle… Ce que j’ai vu même sur The Artist – on était quand même avec une équipe américaine – il y a beaucoup de monde sur un plateau américain. Les producteurs sont souvent là et il ont beaucoup de pouvoir par rapport en France où ils en ont aussi mais il n’y a pas le director’s cut ou le producer’s cut. C’est le réalisateur qui a le pouvoir en France. J’aime bien les deux. J’aime bien m’adapter … C’est comme un jeu, c’est un nouveau terrain de jeu et c’est rigolo d’essayer…On essaye de s’adapter aux propositions…

À un moment donné ça n’a rien à voir avec le scénario et le personage; ça a à voir avec quelles sont les filles avec lesquelles on peut avoir de l’argent.

Dans The Search vous interprétez un rôle très émouvant. Qu’est-ce qui vous pousse à choisir un rôle plutôt qu’un autre, autant émouvant?

B.B.: Bon, en ce qui concerne Michel, quand il écrit un rôle, il l’écrit assez rapidement en pensant à moi, donc je ne choisis pas. Mais sinon, pendant que je tournais The Search, on m’a proposé un scénario vraiment formidable d’un réalisateur qui s’appelle Joachim Lafosse, et c’était pareil; c’était une journaliste qui allait en Afrique et qui se retrouvait à adopter un petit enfant. Ce n’est pas vraiment le même film mais il y avait quelque chose de similaire. Donc, mes choix c’est aussi en fonction de ce que je viens de faire. Peut-être dans cinq ans j’aurai envie d’explorer ce genre de personage. Là, je vais faire un film de genre. C’est plus agréable que quand on a l’impression d’être dans une routine. On fait tout de même ce métier pour éviter toute routine.

A-t-il été difficile d’interpréter le rôle de Carole? Comment vous êtes-vous préparée?

B.B.: Oui. Carole, en réalité, je pensais que ce serait un personage que j’aborderai de manière un peu plus facile que les autres et en fait, c’était un personage assez complexe à jouer, surtout à jouer: d’abord, je jouais toute seule, c’est-à-dire que j’avais un enfant en face de moi mais qui ne parlait pas donc je parlais toute seule. Déjà parler toute seule en attendant une réponse qui ne vient pas, il faut apprendre à laisser le temps à cette réponse qui ne vient pas. Après, j’avais beaucoup de scènes au téléphone qui ont été coupées et où je parlais toute seule et là j’ai fait des scènes en anglais et en français donc au niveau du travail ça a été assez fastidieux. Au niveau du personage, c’est un personage qui est assez douloureux puisque c’est un personage qui au début du film ne connecte pas du tout avec elle-même; elle est assez distante face à une situation et puis petit à petit elle apprend à se connecter et à accepter son environnement, à regarder juste à côté d’elle. Ce sont des personages qui du coup demandent beaucoup de concentration. Carole ne parle pas, Carole ressent beaucoup plus que Peppy Miller qu’on n’entend pas parce qu’il n’y a pas de micro mais Carole on ne l’entend pas parce qu’elle pense; elle réagit avec ses yeux. Il fallait aussi laisser la place au spectateur.

À quel rôle vous identifiez-vous le plus?

B.B.: Je pense que je m’identifie le plus à Peppy et à Carole. À Peppy par son énergie, je pense, parce que c’est pour ça que Michel l’a écrit comme ça. On ne m’avait jamais vue dans des films avec ce genre d’énergie mais plutôt dans des films plus dramatiques donc il avait envie de faire ressentir ce côté-là. Et Carole dans le côté d’être occidentale, de voir des conflits se passer juste à côté de chez moi, de ne pouvoir rien faire en réalité et de sentir que même quoi que je puisse faire ne soit pas assez et donc de ne pas faire grand chose finalement.

Quel genre de rôle voudriez-vous que Michel Hazanavicius écrive pour vous?

B.B.: Je vais lui demander de faire une comédie maintenant.

Pensez-vous retourner travailler à Hollywood ou peut-être essayer de tourner dans votre Argentine natale?

B.B.: J’aimerais bien faire un film en Argentine et pourquoi pas un film américain, pure souche, avec un vrai scénario américain et un réalisateur américain.

Vos futurs projets?

B.B.: Tout est en financement mais normalement je vais faire un film avec un jeune acteur, Brady Corbet. C’est un premier long et un film de genre anglais.

 

Cet entretien a été réalisé pendant le Festival de Cinéma de Sarajevo en 2014. 

Tara Karajica

Tara Karajica is a Belgrade-based film critic and journalist. Her writings have appeared in "Indiewire," "Screen International," "Variety," "Little White Lies" and "Film New Europe," among many other media outlets, including the European Film Academy’s online magazine, "Close-up" and Eurimages. She is a member of the European Film Academy, the Online Film Critics Society and the Alliance of Women Film Journalists as well as the recipient of the 2014 Best Critic Award at the Altcine Action! Film Festival. In September 2016, she founded "Yellow Bread," a magazine dedicated entirely to short films, ranked among the 25 Top Short Film Blogs and Websites on the Planet in 2017. In February 2018, she launched "Fade to Her," a magazine about successful women working in Film and TV and in 2019, she was a member of the Jury of the European Shooting Stars (European Film Promotion). She is currently a programmer for live action shorts at PÖFF Shorts, Head of the Short Film Program and Live Action Shorts programmer at SEEFest and Narrative Features Programmer at the Durban International Film Festival. Tara is a regular at film festivals as a film critic, moderator and/or jury member.

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